Si dans le domaine de la sécurité et de la défense européennes ces dernières années, une expression ressort avant tout, c'est bien celle d'« autonomie stratégique », notamment depuis la publication de la stratégie globale de l'UE en 2016. Cependant, faute de définition concrète, cette expression est présenté comme l'un des comptes en attente de l'UE, notamment en ce qui concerne la préparation de la boussole stratégique.
« L’autonomie stratégique européenne » n’est pas que des mots. L’indépendance stratégique de l’Europe est notre nouveau projet commun pour ce siècle. Dans l'intérêt de tous. Soixante-dix ans après les pères fondateurs, l’autonomie stratégique européenne est l’objectif numéro un de notre génération. Pour l’Europe, c’est le véritable début du 21e siècle
(Conseil européen, 2020)
C'est ainsi que s'est terminé avec force le discours du président du Conseil européen Charles Michel devant le Forum économique de Bruxelles en septembre 2020 ; un moment critique dans les négociations du nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) et du plan de relance contre le covid-19. Cependant, quelque chose ne va pas dans le choix de la terminologie, car il est paradoxal qu'elle affirme catégoriquement que « l'autonomie stratégique européenne n'est pas que des mots » alors qu'en réalité c'est tout ce que nous avons, des mots.
En effet, bien qu’en vogue depuis la publication de la Stratégie globale de l’UE (EUGS) en 2016, elle est réduite à un slogan ou à une sorte de mantra trop souvent répété. Expression qui a su se tailler une place dans toutes ces publications de référence dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
«Autonomie stratégique»: une expression sans définition
Bien que cette expression ait commencé à être utilisée par le Conseil en novembre 2013, en relation avec l'industrie de défense et lors du Conseil des affaires étrangères de mai 2015, la vérité est que l'on sait peu de choses sur la définition et la portée de cette terminologie. Dans la conception de l'EUGS, l'idée refait surface à travers la référence « à un niveau adéquat d'autonomie stratégique » et est devenue l'expression à la mode depuis juin 2016.
Cependant, bien qu’il soit né sans définition précise, personne n’est surpris par son utilisation fréquente. La preuve en est l’extrapolation du terme à tous les domaines, notamment à la suite de la crise du covid-19. Le meilleur exemple en est les conclusions adoptées par les institutions européennes sur les objectifs et les priorités pour la période 2020-2024 (Conclusions communes du Parlement européen, du Conseil de l'Union européenne et de l'Union européenne sur les objectifs et les priorités pour la période 2020-2024, 2020) en évoquant « l'autonomie stratégique ouverte de l'Europe ». Expression qui est également devenue prise en compte par la Commission européenne dans sa nouvelle stratégie commerciale.
De l'EUGS, on peut comprendre que « l'autonomie stratégique » de l'UE s'étend à quatre domaines fondamentaux : les intérêts communs des Européens, la promotion de ses principes et valeurs, la paix et la sécurité à l'intérieur et à l'extérieur de l'Union, et l'industrie européenne de défense. Pontijas Calderón, 2019). En ce sens, le Colonel souligne :
"Ces quatre domaines coïncident avec les trois dimensions que devrait englober toute autonomie stratégique : opérationnelle (civile et militaire), économique (industrielle) et politique (diplomatique)."
Par conséquent, il n’a pas de concept propre dans la SGUE elle-même, mais on ne le trouve pas dans le glossaire de l’UE, ni dans les décisions ou conclusions du Conseil ou du Conseil européen, par exemple. On pourrait penser qu’il existe une définition en tant que telle, dans son sens le plus général et abstrait, mais tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières de l’UE, il n’a pas été possible de la localiser. Pas même dans le Glossaire EMAD de terminologie à usage commun (Estado Mayor de la Defensa, 2018), ni bien sûr, étant plus âgé, dans les dictionnaires militaires comme celui de José Almirante (Almirante, 1989) ou le Glossaire de la Défense ( Sheehan & Wyllie, 1991). , tous deux publiés par le ministère de la Défense. On ne semble pas non plus le trouver dans les manuels d’études stratégiques ou de relations internationales.
De plus, l’Union européenne elle-même, par l’intermédiaire de son actuel haut représentant (HR) et vice-président de la Commission Josep Borrell, a ouvertement admis qu’elle n’avait pas de concept et que son adoption était nécessaire (Borrell, 2020). Comme le souligne également l’AR, ce que nous avons de plus proche d’une définition se trouve dans les conclusions du Conseil de novembre 2016 lorsqu’il exprime l’expression en anglais : «capacité d’agir de manière autonome quand et où cela est nécessaire et avec des partenaires dans la mesure du possible» (capacité d'agir de manière autonome quand et où cela est nécessaire et avec des partenaires chaque fois que cela est possible) (Conclusions du Conseil sur la mise en œuvre de la stratégie globale de l'UE dans le domaine de la sécurité et de la défense, 2016). Un concept qui a été envisagé au fil des années par le Conseil principalement, mais aussi par le Conseil européen, auquel la Commission européenne rejoint désormais également. De même, dans le cadre de la Coopération structurée permanente (PESCO) et du Fonds européen de défense (FED), elle trouve également sa place en apparaissant dans les actes législatifs qui soutiennent ces instruments et initiatives.
Cela conduit à affirmer que tous les groupes d’intérêt (parties prenantes) – non seulement le décideur politique, mais aussi des universitaires – écrivent et prononcent des discours sur une expression dont nous ne savons pas avec certitude de quoi il s’agit. Même s'il est vrai que des approximations ou des définitions vagues peuvent être faites, l'essentiel réside dans le rôle joué par la doctrine nationale, la culture de défense, la géographie et l'histoire de chacun des 27 États membres.
Il n'est pas jugé prudent de se risquer à proposer une définition tant qu'on ne peut pas affirmer que « l'autonomie stratégique » constitue un concept intuitif. De plus, on peut dire que, de par sa nature même, il naît limité.
En ce sens, des définitions très différentes pourraient être proposées selon l’aspect sur lequel l’accent est mis. Par exemple, si l'on cherchait une définition géographique, basée sur son champ d'application, il serait illusoire de considérer que l'UE, même dotée d'une « autonomie stratégique » - quoi que signifie ce concept - pourrait agir partout dans le monde et avec les mêmes capacités. Il suffit de regarder les limitations dont les partenaires ont souffert dans des scénarios proches comme la Libye ou d'analyser les capacités de transport stratégique, tant aérien que naval, par rapport à celles d'autres grandes puissances, pour prendre conscience des limites avec lesquelles l'UE se lance afin d'obtenir son « autonomie stratégique » tant attendue.
Puisque nous parlons de « capacités », ce dernier concept est d'ailleurs un autre de ceux appartenant au groupe que l'on pourrait qualifier de « non défini », bien que l'UE dispose d'un plan de développement des capacités mis à jour (EU Capability Development Plan) en 2018. (Agence européenne de défense, 2018). Un autre exemple clair de l'absence d'une définition commune peut être trouvé autour du concept de terrorisme au niveau européen (Pérez, 2020).
Pour en revenir à la définition de « l'autonomie stratégique », on pourrait également en parler en termes de capacité à imposer sa volonté ou ses intérêts à n'importe quel rival. Dans ce cas, on pourrait imaginer une échelle de 0 à 10, 0 correspondant à la soumission totale aux intérêts de puissances tierces et 10 à la capacité absolue à imposer ses propres conditions. Puisque tout au long de l’Histoire il n’existe pas de cas connus d’hégémonies parfaites et que toutes les grandes puissances ont vu leur capacité d’action limitée par leurs rivaux et par les alliances nouées entre elles (Kennedy, 2013), le débat entendait établir à quel moment on parle de « l’autonomie stratégique » pourrait être illimitée. En outre, cela entraînerait nécessairement un autre aspect qui doit toujours être pris en compte : la nécessité de fournir une capacité de dissuasion stratégique indépendante et, par conséquent, différente de la dissuasion étendue qu’offrent ou qu’ils pourraient offrir. Force de frappe Français (Pulido, 2018). Après tout, cela reste la clé de l’architecture de sécurité internationale et sans cela, il est difficile de croire que l’UE puisse agir sur un pied d’égalité avec des puissances telles que les États-Unis, la Russie ou la Chine.
Sans définition, il est peu probable que les 27 membres du club partent des mêmes prémisses, compte tenu des divergences indéniables entre eux. C'est un truisme de dire qu'un ressortissant polonais ou estonien ne concevra probablement pas la défense de la même manière qu'un Portugais ou un Espagnol. Ce qui est réellement évident a tendance à se dissiper parmi les nombreuses publications disponibles dans ce domaine d’étude.
D'une part, l'exemple le plus récent réside dans les difficultés rencontrées pour parvenir à l'adoption de la décision qui établit les conditions de participation des États tiers aux différents projets de la PESCO. D'autre part, l'exemple du futur est identifié avec l'adoption de la Boussole Stratégique ou boussole stratégique dans le but d’harmoniser les différentes positions sur la perception des risques et menaces existants.
Par ailleurs, on constate une nette tendance à associer l’idée d’« autonomie stratégique » ou de « non-dépendance » à la réalisation d'une armée européenne lorsqueEn réalité, ils sont configurés comme des objectifs différents. En d’autres termes, la création d’une armée européenne ne doit pas nécessairement être une conséquence directe et nécessaire de l’obtention d’une plus grande autonomie au niveau européen. Tout cela, pour ne pas dire qu’il ne s’agit pas d’un objectif commun partagé entre les États membres. Il est donc nécessaire de connaître le point de départ et les intentions nationales.
De même, il est nécessaire de faire un paragraphe de rappel. L'Union européenne est une organisation internationale sui generisune rara avis parmi les organisations internationales existantes, mais, en substance, c'est une organisation née de l'association volontaire d'États qui ont décidé de renoncer à l'exercice des pouvoirs souverains. Cette notion bien établie sur la nature même de l’Union européenne tend elle aussi à s’évaporer.
Les États membres n'ont pas cédé de compétences dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe dans d'autres, et c'est pourquoi la PSDC est une politique si différenciée des autres, unique et particulière. En pratique, il ne semble pas que le deuxième pilier du temple grec mentionné dans le traité de Maastricht ait disparu. Un exemple récent peut être trouvé dans les négociations de l’accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE. lorsque les deux blocs ont décidé que la sécurité et la défense seraient laissées de côté. À tel point que le 30 avril, l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni a été approuvé au sein du Parlement européen, mais des questions qui n'ont été reflétées dans aucun document au-delà de la Déclaration sont toujours en suspens. en octobre 2019.
Si quelque chose peut être extrait de l’analyse de la PSDC, c’est précisément sa complexité lorsqu’il s’agit de combiner les positions et de construire de manière réelle, précisément en raison des divergences existantes entre les États. Non seulement au niveau des intérêts et des objectifs stratégiques, mais également en tenant compte de leur propre conception de la sécurité et de la défense (Bartels, Kellner et Optenhögel, 2017). Traditionnellement, l'idée est établie que la PSDC est le bastion le plus intergouvernemental de la PESC et cela continuera à se maintenir dans le temps aussi longtemps que les États n'envisageront pas de renoncer à l'exercice de leurs pouvoirs souverains. Si cela se produisait, cela impliquerait qu’au niveau individuel, ils perdraient du poids sur la scène internationale.
Cela dit, il va sans dire que l’absence d’une définition précise et concrète peut être une conséquence directe du fait que l’UE elle-même et ses États membres ne savent pas clairement quelle direction ils doivent prendre et ne parviennent pas à parvenir à un consensus. En d’autres termes, il faut se poser la question qui revient chaque année : Que fais-tu en Europe ?
Comme si cela ne suffisait pas, il s’agit d’une idée extrêmement large qui est directement liée à d’autres termes comme « souveraineté industrielle » et/ou « souveraineté technologique », puisque son émergence s’est précisément produite dans le domaine de l’industrie de défense.
A ce propos, il faut dire que « l'autonomie stratégique » doit également être analysée à travers le prisme de la Revue annuelle coordonnée de défense (CARD) et de la PESCO, d'autant plus que la porte à la participation des États tiers a été ouverte le 5 novembre 2020. dans ce dernier (Murillo, 2021). De même, il convient de prendre en considération que le 6 mai 2021, le Conseil a adopté trois décisions sur la participation des États-Unis, du Canada et de la Norvège au projet de mobilité militaire mené par les Pays-Bas (Service européen pour l'action extérieure, 2021).
idées finales
De tout ce qui précède, on peut noter en conclusion que l'élaboration d'une définition de « l'autonomie stratégique » se présente comme une tâche ardue, mais de plus en plus nécessaire. Par conséquent, il est jugé au moins approprié que, dans le cadre des négociations et de l'adoption du Compass stratégique, au moins une définition soit formulée de minimis. C’est-à-dire une définition qui offre des éléments communs qui constituent le postulat sur lequel tous les États membres doivent se baser.
De même, le timing pour ouvrir ce débat est également opportun puisque l’UE vient de lancer la Conférence sur l’avenir de l’Europe à l’occasion de la Journée de l’Europe et qui se clôturera en 2022 sous la présidence française du Conseil. En ce sens, lors de la présentation de la déclaration commune signée par la Commission, le Parlement et le Conseil, il a déjà été affirmé qu'il ne devait pas y avoir de sujets tabous. Par conséquent, ni dans le domaine de l’action extérieure et notamment en matière de sécurité et de défense.
En substance, même si l’Union européenne semble une fois de plus floue sur ses objectifs spécifiques et, plus important encore, sur la voie à suivre, il est vrai qu’elle dispose d’une plus grande volonté politique qu’elle n’en avait avant l’impulsion donnée par l’EUGS. . Par conséquent, même s’il est tard lorsqu’il s’agit de proposer des définitions, Mieux vaut tard que jamais.
Références
Agence européenne de défense. (2018). La révision du CDP 2018. Les priorités de développement des capacités de l’UE. Bruxelles : Agence européenne de défense.
Amiral, J. (1989). Dictionnaire militaire. Madrid : Ministère de la Défense.
Bartels, H.-P., Kellner, A. et Optenhögel, U. (Éd.). (2017). Autonomie stratégique et défense de l'Europe. En route vers une armée européenne ? Bonn : Dietz.
Borrell, J. (3 décembre 2020). Pourquoi l’autonomie stratégique européenne est-elle importante ? diploweb.com. Obtenu à partir de https://www.diploweb.com/Why-European-strategic-autonomy-matters.html
Conclusions communes du Parlement européen, du Conseil de l'Union européenne et de l'Union européenne sur les objectifs et les priorités pour la période 2020-2024. (29 décembre 2020). ((2021/C 451 I/02)). JOUE CI 451/4. Obtenu à partir de https://eur-lex.europa.eu/legal-content/ES/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020Y1229(01)&from=EN
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Conclusions du Conseil sur la mise en œuvre de la stratégie globale de l'UE dans le domaine de la sécurité et de la défense. (14 novembre 2016). Obtenu à partir de https://www.consilium.europa.eu/media/22459/eugs-conclusions-st14149en16.pdf
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Pontijas Calderón, JL (9 mars 2019). L'armée européenne et l'autonomie stratégique de l'Union européenne. (08/2019), 8-10.
Pulido Pulido, G. (sf).
Pulido, G. (28 sur 9, 2018). Dissuasion nucléaire européenne : au-delà de la dissuasion étendue. Obtenu du magazine de l'armée : https://www.revistaejercitos.com/2018/09/28/disuasion-nuclear-europea/
Service européen pour l’action extérieure. (6 mai 2021). Conseil Affaires étrangères (Défense) : intervention du haut représentant/vice-président Josep Borrell lors de la conférence de presse. Obtenu à partir de https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/97931/foreign-affairs-council-defence-remarks-high-representativevice-president-josep-borrell-press_en
Sheehan, M. et Wyllie, JH (1991). Glossaire de la défense. Madrid : Ministère de la Défense.
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